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entre ces deux absents, qui empêcha qu’on ne prît garde à une personne dont la présence, si elle avait été remarquée, eût semblé aussi extraordinaire que l’absence simultanée des deux autres ?… En effet, impiété ou souffrance physique, la Clotte n’allait point à l’église. Il y avait plus de quinze ans qu’on ne l’y avait vue. Il est juste de dire aussi qu’on ne l’avait point vue ailleurs. Elle n’allait que jusqu’à son seuil. D’un esprit trop ferme pour insulter les choses saintes, la Clotte semblait les dédaigner, en ne les invoquant jamais dans sa vie. L’Hérodiade de Haut-Mesnil, qui avait eu avec les hommes toutes les férocités d’une beauté puissante comme un fléau, devenue l’ascète de la solitude et la Marie Égyptienne de l’orgueil blessé, n’avait pas soupçonné la force qu’elle aurait trouvée au pied d’une croix. Lorsque, dans sa tournée de Pâques, le curé Caillemer entrait et s’asseyait chez elle pour lui parler des consolations qu’elle puiserait dans l’accomplissement de ses devoirs de chrétienne, elle souriait avec une hauteur amère. Rachel égoïste et stérile, qui ne voulait pas être consolée parce que sa jeunesse et sa beauté n’étaient plus ! Elle souriait aussi de l’humble prêtre, enfant de la paroisse, qu’elle avait vu grandir derrière la charrue, sur le sillon voisin, et qui ne portait pas sur son front la marque de noblesse, qui l’eût consacré, aux yeux d’une femme comme elle, plus que l’huile sainte du sacerdoce. Cette hauteur, ce sourire, cette fierté désespérée, mais sans une seule plainte, cette attitude éternelle, car il la retrouvait toujours la même à chaque année, cette manière de