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attiraient les populations aux églises, la plus solennelle et qui remuait davantage l’imagination publique, c’étaient les funérailles. Les indifférents y accouraient autant que les intéressés ; les impies, autant que les gens pieux. Ce n’était pas comme en Écosse, où les repas funéraires pouvaient déterminer un genre de concours sans élévation et sans pureté. En Normandie, il n’y avait de repas, après l’enterrement, que pour les prêtres. La foule, elle, s’en retournait, le ventre vide, comme elle était venue, mais elle était venue pour voir un de ces spectacles qui l’émouvaient et l’édifiaient toujours, et elle s’en retournait la tête pleine de bonnes pensées, quand ce n’était pas le cœur. Ce jour-là, l’enterrement de maîtresse Le Hardouey n’attirait pas seulement parce qu’il était une cérémonie religieuse, ou parce que la décédée était connue à dix lieues à la ronde pour la reine des ménagères, mais aussi parce que sa mort soudaine n’avait pas été naturelle, et qu’il planait comme le nuage d’un crime au-dessus. On vint donc aux obsèques de Jeanne encore plus pour parler de sa mort extraordinaire et inexpliquée que pour s’acquitter envers elle d’un dernier devoir. La jaserie, ce mouvement éternel de la langue humaine, ne s’arrête ni sur une tombe fermée ni en suivant un cercueil, et rien ne glace, pas même la religion et la mort, l’implacable curiosité qu’Ève a léguée à sa descendance. Pour la première fois peut-être, le recueillement manqua à ces paysans. Ce qui, surtout, les rendit distraits, parce que cela leur paraissait étrange et terrible, à eux, qui avaient au fond de leur cœur le res-