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qui je suis, pour écouter cette voix souillée qui ne lui a jamais rien demandé pour Clotilde Mauduit, mais qui lui demanderait, si elle osait, sa miséricorde pour Jeanne-Madelaine de Feuardent ! »

Et, comme la proie d’une idée subite : « Écoute, Petiote, — lui dit-elle en prenant les mains de l’enfant dans les siennes, — tu vaux mieux que moi. Tu n’es qu’une enfant ; tu as l’âme innocente : à ton âge, on me disait que Dieu, venu sur la terre, aimait les enfants et les exauçait. Agenouille-toi là et prie pour elle ! »

Et, avec ce geste souverain qu’elle avait toujours gardé au sein des misères de sa vie, elle fit tomber l’enfant à genoux au bord de son lit.

« Oui ! prie, — dit-elle d’une voix entrecoupée par ses larmes, — je pleurerai pendant que tu prieras ! Mais surtout prie haut, — continua-t-elle, s’exaltant dans sa peine à mesure qu’elle parlait, — que je puisse t’entendre ! Oui ! que je puisse t’entendre, si je ne puis m’unir à toi. Ah ! parle-lui donc, — fit-elle impétueusement, — parle-lui, à ce Dieu des enfants, des purs, des patients, des doux, enfin de tout ce que je ne suis plus !

— C’est aussi le Dieu des misérables, — dit la petite fille, naïvement sublime et qui répétait simplement ce que son curé lui avait appris.

— Ah ! c’est donc le mien ! — fit la Clotte, qui sentit l’atteinte du coup de foudre que Dieu fait quelquefois partir des faibles lèvres d’un enfant. — Attends ! attends ! je m’en vais prier avec toi, ma fille… »