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trépas de Jeanne-Madelaine avec ces intervalles sublimes toujours plus longs à mesure qu’on avance dans cette sonnerie lugubre qui semble distiller la mort dans les airs et la verser par goutte, à chaque coup de cloche, dans nos cœurs.

Rien, à ce moment, dans les campagnes toujours si tranquilles d’ailleurs, n’empêchait d’entendre les sons poignants de lenteur et brisés de silence qui finissent par un tintement suprême et grêle comme le dernier soupir de la vie au bord de l’éternité. Le matin, gris avant d’être rose, commençait de s’emplir des premiers rayons d’or de la journée et retenait encore quelque chose du calme sonore et vibrant des nuits. Les sons de la cloche mélancolique, toujours plus rares, passaient par la porte laissée ouverte derrière la petite Ingou et venaient mourir sur ce grabat, où un cœur altier, qui avait résisté à tout, se brisait enfin dans les larmes et allait comprendre ce qu’il n’avait jamais compris, le besoin brûlant et affamé d’une prière.

La Clotte se souleva à ces sons qui disaient que Jeanne ne se relèverait jamais plus.

« Je ne suis pas digne de prier pour elle, — fit-elle alors, comme si elle était seule ; — la pleurer, oui. — Et elle passa ses mains sur ses yeux où montaient des larmes, et elle regarda ses mains mouillées avec un orgueil douloureux, comme si c’était une conquête pour elle que des pleurs ! — Qui m’aurait dit pourtant que je pleurerais encore ?… Mais prier pour elle, je ne puis, j’ai été trop impie ; Dieu rirait de m’entendre si je priais ! Il sait trop qui j’ai été et