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ce fût elle. Sans cha, je n’aurais pas essuyé mon allumelle, j’aurais toujours voulu trouver dessus le goût de la vengeance, plus fort que le goût de mon pain. »

Et il prit avec des mains frissonnantes le couteau dont il parlait, dans son bissac, l’ouvrit et le plongea impétueusement dans l’eau du lavoir. Il l’en retira ruisselant, l’y replongea encore. Jamais assassin enivré ne regarda sur le fer de son poignard couler le sang de sa victime comme il regarda l’eau qui roulait sur le manche et la lame de ce couteau ignoble et grossier. Puis, égaré, forcené, et comme délirant à cette vue, il l’approcha de ses lèvres, et, au risque de se les couper, il passa, sur toute la largeur de cette lame, une langue toute rutilante de la soif d’une vengeance infernale. Tout en la léchant, il l’accompagnait d’un grognement féroce. Avec sa tête carrée, ses poils hérissés et jaunes, et le mufle qu’il allongeait en buvant avidement cette eau qui avait une si effroyable saveur pour lui, il ressemblait à quelque loup égaré qui, traversant un bourg la nuit, se fût arrêté, en haletant, à laper la mare de sang filtrant sous la porte mal jointe de l’étal immonde d’un boucher.

« C’est bon, cha ! — dit-il. — C’est bon ! » — murmurait-il ; et, comme si ces quelques gouttes ramassées par sa langue avide eussent allumé en lui des soifs nouvelles plus difficiles à étancher, il prit, sans lâcher son couteau, de l’eau dans sa main, et il la but d’une longue haleine.

« Oh ! voilà le meilleur baire que j’aie beu de ma vie ! — cria-t-il d’une voix éclatante, — et je le bais,