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— Je dis ce que je dis, — répondit le pâtre. — Les Hardouey avaient chassé les bergers du Clos. Les bergers se sont vengés enui[1]. V’là la femme nayée, et l’homme…

— Et l’homme ?… — interrompit la Mahé, qui venait de quitter, il n’y avait qu’un moment, maître Thomas Le Hardouey.

— L’homme — continua le berger — court à cette heure dans la campagne, comme un quevâ qui a le tintouin ! »

Et les deux commères frissonnèrent. L’accent du pâtre était plus terrible que le pouvoir dont il parlait et auquel elles commençaient de croire, frappées qu’elles étaient de l’horrible spectacle qu’elles avaient alors sous les yeux.

« Vère, — s’écria-t-il, — la v’là morte, couchée à mes pieds, orde de vase ! — Et de son sabot impie il poussa ce beau corps naguère debout et si fier. — Un jour, elle avait cru tourner le sort et m’apaiser en m’offrant du lard et du choine qu’elle m’eût donné comme à un mendiant, en cachette de son homme, mais je n’ai voulu rin ! rin que le sort… Un sort à li jeter ! et elle l’a eu ! Ah ! je savais ce qui la tenait, quand personne n’en avait doutance de Blanchelande à Lessay. Je savais qu’elle ferait une mauvaise fin… mais quand je repassais mon coutet ichin et que je le purifiais dans la terre, pour qu’il ne sentît pas la mort, j’ignorais que ce qui pourrissait l’iau,

  1. Aujourd’hui, normand. (Note de l’auteur.)