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bord. — Elle est là ! je la tiens ! je la sens sous ma gaule. Allons, mère Ingou, venez par ichin ! vous êtes la plus cœurue et la plus forte. Si je pouvais fourrer ma gaule par-dessous elle, je la soulèverais des vases du fond et l’approcherais du bord, qui n’est pas bien haut de ce côté. P’t-être que je l’aurions à nous deux. »

Et la mère Ingou laissa la coiffe aux mains de Simone et de Petiote et courut au berger. Ce que celui-ci avait prévu arriva. En s’efforçant beaucoup, il put soulever le corps de la noyée et le ranger contre le bord.

« Attendez ! je la vois ! » — dit la mère Ingou, qui écarta les roseaux ; et, se couchant sur l’herbe et plongeant ses mains dans l’eau du fossé, elle saisit par les cheveux la pauvre Jeanne.

« Ah ! comme elle pèse ! » — fit-elle en appelant à son aide l’enfant et Simone ; et, toutes les trois, elles parvinrent, avec l’aide du berger, à retirer le corps bleui de Jeanne-Madelaine et à le coucher dans l’herbe du pré.

« Eh bien, — dit le berger presque menaçant, — l’iau mentait-elle ? À présent, êtes-vous sûre de ce que je disais, mère Ingou ? Crairez-vous maintenant au pouvait des pâtres ? Elle itou — fit-il en montrant le cadavre de Jeanne — n’y voulut pas craire, et elle a fini par l’éprouver ; et son mari, qui était encore plus rêche et plus mauvais qu’elle, y crait, depuis hier au soir, pus qu’au bon Dieu !

— Quéque vous v’lez dire par là, pâtre ? — fit la bonne femme.