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ne me trompent pas, — dit la mère Ingou en entrant dans le pré ; — la pierre est prise, et nous allons être obligées d’espérer.

— C’n’est pas une lessivière, mère Ingou, — dit Simone, — car, en venant, j’aurions entendu le bruit du battoir.

— Nenni-da ! c’est le pâtre du Vieux Probytère qui aiguise son coutet sur la pierre du lavoir, — fit la petite Ingou, dont les yeux d’émerillon dénichaient les plus petits nids dans les arbres.

— I’ ne s’en ira pas donc du pays ? » — dit la mère Mahé à sa compagnonne.

Ni l’une ni l’autre n’aimait ces bergers suspects à toute la contrée, mais la misère unit ses enfants et de ses bras décharnés les rapproche dans la vie, comme sa fille, la mort, étreint les siens dans le tombeau. Les bergers errants causaient moins d’effroi à des porte-haillons comme ces deux femmes qu’à ces riches qui avaient des troupeaux de vaches dont ils pouvaient tourner le lait par leurs maléfices, et des champs dont ils versaient parfois le blé dans une nuit. Parce qu’un de ces pâtres sinistres était là, au moment où elles le croyaient peut-être bien loin, elles ne s’en effrayèrent pas davantage, et elles descendirent la pente du pré jusqu’à lui.

D’ailleurs, quand elles arrivèrent contre le lavoir, il avait fini d’aiguiser son couteau sur la pierre où les lavandières battent et tordent leur linge, et il l’essuyait dans les herbes.

« Vous v’nez à bonne heure, la mère Ingou, — dit alors le pâtre à la bonne femme, et si vous n’avez