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dans lequel la responsabilité de ces pauvres diablesses (chrétiennement, il faut le croire du moins) n’est pour rien.

« Ah ! — dit la mère Ingou, — j’crais ben qu’vous avez été épeurée ! mais vous savez bien les diries, mère Mahé, sur la femme de maître Le Hardouey et sur l’abbé de la Croix-Jugan. Et c’était sans doute cha qui tenait Le Hardouey de si bon matin. »

Alors elles ne s’arrêtèrent plus. Elles se débondèrent. Comme tout le monde à Blanchelande et à Lessay, elles recevaient l’influence des bruits qui couraient sur l’ancien moine et sur cette maîtresse Le Hardouey qu’on avait vue si brillante de santé et d’entendement, et qui était tombée, sans qu’on sût même ce qu’elle avait, dans un état si digne de pitié. Elles interrogèrent l’enfant qui les suivait et qui portait le savon gris et les battoirs, sur le nombre de fois qu’elle avait vu Jeanne-Madelaine et l’abbé de la Croix-Jugan chez la Clotte, sur ce qu’ils faisaient quand ils y étaient ; mais la petite ne savait rien. L’imagination des deux vieilles ne chômait pas pour cela, et elle remplissait tous les vides qu’il y avait dans les dépositions de la jeune enfant.

C’est en commérant ainsi qu’elles arrivèrent enfin au lavoir, situé de côté sur la route, au bout d’un petit pré qui s’en allait en pente, jusqu’à ce lavoir naturel que les hommes n’avaient pas creusé et qui n’était qu’une mare d’eau de pluie, assez profonde, sur cailloutis.

« Tiens ! il y a du monde déjà, si mes vieux yeux