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« Vous êtes pâle comme la mort, — dit Simone. — Est-ce que vous auriez du mal chez vous, maître Le Hardouey, que vous venez si matin pour parler à M. l’abbé de la Croix-Jugan ? Qué qu’il y a ? Auriez-vous des malades au Clos ? Vous savez bien — ajouta-t-elle avec l’air mystérieux qu’on prend en parlant de choses redoutables — que M. l’abbé de la Croix-Jugan ne confesse pas. Il est suspens. »

Mais Le Hardouey n’écoutait guère le bavardage de la Mahé. Il s’était approché de la cheminée, et du bout de son pied de frêne il remuait fortement les cendres de l’âtre avec un air si préoccupé et si farouche que la Mahé commença d’avoir peur.

« Oui, — dit-il, se croyant seul et parlant haut, comme dans les préoccupations terribles, — v’là le feu dans lequel ils ont fait cuire mon cœur, et c’est sous ce crucifix qu’ils l’ont mangé ! »

Et, d’un coup de son pied de frêne, il frappa le crucifix avec furie, l’abattit, et, l’ayant poussé dans les cendres, il sortit en poussant des jurements affreux. La Mahé, comme elle disait, eut les bras et les jambes cassés par un tel spectacle. Elle crut que Le Hardouey était la proie de quelque abominable démon. Elle se signa de terreur, mais, sa peur devenant plus forte dans cette solitude, elle se hâta de s’en aller.

« Le lit n’est pas défait, — dit-elle, — et, si je restais là toute seule plus longtemps, je crois, sur mon âme, que j’en mourrais de frayeur. »

Et en s’en retournant elle rencontra la mère Ingou et sa fillette, qui toutes deux allaient laver leur pauvre linge au lavoir. Elles se souhaitèrent la bonne