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aucun liséré de lumière qui accusât la vie de la veillée à l’intérieur. Le Hardouey l’ébranla bientôt, mais en vain, des meilleurs coups de pied de frêne qu’il eût jamais donnés de sa poigne de Cotentinais. Il frappa ensuite aux volets comme il avait frappé à la porte. Il appela, blasphéma, maugréa, refrappa encore ; mais coups et bruits heurtaient la maison et le silence sans les entamer l’une et l’autre. La maison résistait. Le silence reprenait plus profond, après le bruit. L’eau-de-vie et la rage bouillonnaient sous le cuir chevelu de maître Thomas. Il s’épuisait en efforts terribles. Il essaya même de mettre le feu à cette porte, ferme et dure comme une porte de citadelle, avec son briquet et de l’amadou, mais l’amadou s’éteignit. Alors une furie, comme les plus violents n’en ont guères qu’une dans leur vie, le jeta hors de lui. Cette broche qui tournait, ce cœur qui cuisait, ne quittaient pas sa pensée ; il les voyait toujours. Oui, il sentait réellement la pointe du couteau de Jeanne dans son cœur vivant, comme cela avait eu lieu dans le miroir, et il tressautait sous les coups dardés du couteau, comme ce cœur rouge tressautait au feu sur son pal ! Son cheval, qu’il n’avait pas attaché, retourna tout seul au Clos.

L’eau-de-vie qu’il avait bue, peut-être, et aussi la rage impuissante, car rien ne fatigue le cerveau comme l’impossibilité de s’assouvir, le firent au bout d’une heure tomber dans un sommeil profond, une espèce de sommeil apoplectique, sur la pierre même où il s’était assis avec l’obstination d’un bouledogue, et il dormit là, d’une seule traite, de ce sommeil sans