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vanté ne se fût sauvé en faisant feu des quatre pieds, comme disait mon ami Tainnebouy ; car depuis longtemps l’ombrageux animal ressentait toutes les allures de la peur et se baignait dans son écume.

Lorsque maître Le Hardouey revint à lui, il était tard et la nuit profonde. Les bergers sorciers avaient disparu… Maître Le Hardouey vit un petit feu contre la terre. Était-ce un morceau d’amadou laissé derrière eux par les bergers après en avoir allumé leurs brûle-gueule de cuivre ? Il n’eut pas le courage d’aller éteindre, de son soulier ferré, ce petit feu. Il voulut remonter à cheval, mais il chercha longtemps l’étrier. Il tremblait, le cheval aussi. Enfin, à force de tâtonnements dans ces ténèbres, l’homme enfourcha le cheval. C’était le tremblement sur le tremblement ! Le cheval, qui sentait l’écurie, emporta le cavalier comme une tempête emporte un fétu, et Le Hardouey faillit casser sa bride quand il l’arrêta devant la porte de la maison, moitié forge, moitié cabaret, qui se trouvait sur le chemin, au sortir de la lande, et qu’on appelait la forge à Dussaucey dans le pays.

Le vieux forgeron travaillait encore, quoiqu’il fût près de dix heures du soir, car il avait une pacotille de fers à livrer à un maréchal de Coutances pour le lendemain.

Il a lui-même raconté qu’il ne reconnut pas la voix de Le Hardouey quand celui-ci l’appela de la porte et qu’il lui demanda un verre d’eau-de-vie. Le vieux forgeron prit la bouteille sur la planche enfumée, versa la rasade qu’on lui demandait et l’apporta à maître Thomas, qui la but avidement sans descendre