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émaillé qu’il avait rapportée de la Guibray à sa femme et que Jeanne avait l’habitude de porter, par derrière, à la calotte de sa coiffe.

« Où as-tu volé ça ? — dit-il en descendant de sa jument d’allure, avec le mouvement d’un homme pris aux cheveux par une pensée qui va le traîner à l’enfer.

— Volé ! — répondit le berger, qui se mit à ricaner. — Vous savez si je l’ai volée, vous ! vous autres, les fils ! — ajouta-t-il en se retournant vers ses compagnons, qui se prirent à ricaner aussi du même rire guttural. — Maîtresse Le Hardouey me l’a bien donnée elle-même, au bout de la lande, contre la Butte-aux-Taupes, et m’a assez tourmenté-tourmenteras-tu pour la prendre. Ah ! la fierté était partie. Elle gimait alors comme une pauvresse qui a faim et qui s’éplore à l’ue d’une farme. Vère, elle avait faim itou, mais de quel choine ! d’un choine[1] bénit que tout le pouvait des bergers n’eût su lui donner. »

Et il recommença son ricanement.

Thomas Le Hardouey n’avait que trop compris. La sueur froide de l’outrage qu’il fallait cacher coulait sur son visage bourrelé. Les propos qui lui étaient revenus sur sa femme, vagues, il est vrai, sans consistance, sans netteté, comme tous les propos qui reviennent, étaient donc bien positifs et bien hardis, puisque ces misérables bergers les répétaient. Le choine bénit, c’était l’odieux prêtre ! Et qui l’eût cru

  1. Choine, pain, normand. (Note de l’auteur.)