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ver un boisseau de froment sur les reins d’un cheval aussi lestement qu’il en eût descendu sa femme dans ses cottes bouffantes ! Et c’est pourquoi ces trois fainéants, au teint d’albinos, qui, de leurs longs corps de mollusques, barraient le sentier à cet endroit de la lande, ne l’effrayaient guère… Et pourtant… oui, pourtant… était-ce l’heure ? était-ce la réputation du lieu où il se trouvait ? étaient-ce les superstitions qui enveloppaient ces pâtres contemplatifs, dont l’origine était aussi inconnue que celle du vent ou que la demeure des vieilles lunes ?… mais il était certain que Le Hardouey ne se sentait pas, sur sa selle à pommeau cuivré, aussi à l’aise que sous la grande cheminée du Clos et devant un pot de son fameux cidre en bouteille. Et vraiment, pour lui comme pour un autre, ce groupe blafard, à ras de terre, éclairé obliquement par un couchant d’un rouge glauque, avait, dans sa tranquillité saisissante et ses reflets de brique pilée, quelque chose de fascinateur.

« Allons ! — dit-il, ne voulant que les effrayer et réagissant contre l’impression glaçante qu’ils lui causaient, — allons, debout, Quatre-sous ! En route, race de vipères engourdies ! Débarrassez-moi le passage, ou… »

Il n’acheva pas. Mais il fit claquer la longe de cuir qu’il avait à la poignée de son pied de frêne, et, de l’extrémité, il toucha même l’épaule du berger placé devant lui.

« Pas de joueries de mains ! — fit le pâtre, dans les yeux de qui passa une lueur de phosphore, — il y a du quemin à côté, maître Le Hardouey. Ne bur-