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— Par orgueil, — répondit la vieille ; — aucun n’est tombé par amour. »

Il y eut un moment de silence entre ces deux femmes. La nuit, chargée de ses mauvaises pensées, commença de pénétrer dans la chaumière de la Clotte.

« Il aime la vengeance, — fit profondément Jeanne-Madelaine, — et je suis la femme d’un Bleu.

— Ce qu’il aime, qui le sait, ma fille ? — répondit la Clotte, plus profonde encore. — Il n’a jamais peut-être aimé que sa cause, et sa cause n’est point dans tes bras ! Ah ! s’il pouvait écraser tout ce qu’il y a de Bleus sous ton matelas, peut-être s’y coucherait-il avec toi. Oui ! même au sortir de la messe, la bouche teinte du sang de son Dieu qui le condamnerait ! Mais, à toi seule, tu n’as à lui offrir qu’un cœur, qu’il dédaigne, dans sa pensée de prêtre, comme une proie destinée aux vers du cercueil.

— Et si tu te trompais, la Clotte ? — fit Jeanne en se levant impétueusement de son escabeau.

— Non, Jeanne de Feuardent, — fit la vieille Clotte avec un geste d’Hécube, — non, je ne me trompe point. Je le connais. Ne vous avilissez point pour cet homme. Gardez votre grand cœur. N’allez pas à la honte, ma fille, pour n’en rapporter que les rebuts du mépris. — Et elle saisit Jeanne par le bas de son tablier de cotonnade rouge pour l’empêcher de sortir.

— Ah ! la vieillesse t’a donc rendue lâche, Clotilde Mauduit ! — fit Jeanne exaspérée et en qui le dernier éclair de la raison s’éteignait. — Quand tu avais mon