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qu’une seule chose, c’est que j’aimais un homme brun qui avait un pouvoir supérieur au leur et que cet homme brun me tuerait. Ah ! j’étais déjà tuée ! Est-ce que je suis cette Jeanne de Feuardent connue jadis à Blanchelande et à Lessay ? Est-ce que ce malheureux visage, affreux comme une apoplexie, dit que je suis une femme vivante ?… Oui ! je suis tuée. Jéhoël m’a tuée. Mais moi, je lui tuerai son âme ! Je ne finirai pas comme ce misérable pigeon sans fiel de Dlaïde Malgy qui n’a su que se rouler à des pieds d’homme et puis mourir ! »

Un étrange sourire passa sur les lèvres de l’ancienne odalisque des sultans de Haut-Mesnil, en entendant ce cri de la femme qui sait la force de la tentation que son péché a mise en elle.

« Insensée ! — fit-elle, — insensée ! tu ne connais donc pas encore ce La Croix-Jugan ? »

Et avec une force de regard et d’affirmation qui troubla Jeanne, malgré le désordre de tout son être, elle ajouta :

« Quand tu te mettrais encore plus bas que la Malgy aux pieds de cet homme, tu ne pourras jamais ce que tu veux !

— Ce n’est donc pas un homme ? — dit Jeanne avec un front de bronze, tant les sentiments purs de la femme, le chaste honneur de toute sa vie, avaient disparu dans les flammes d’une passion plus forte, hélas ! que quinze ans de sagesse et enflammée par dix-huit mois d’atroces combats !

— C’est un prêtre, — répondit la Clotte.

— Les anges sont bien tombés ! — dit Jeanne.