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— Oh ! ma pauvre enfant, — dit la Clotte, — qu’est-ce donc que vous avez, ce soir ?

— Je m’en vais vous le dire », — reprit Jeanne avec un air de mystère qui tenait du délire et du crime.

Elle s’assit, sur son escabeau, auprès de la Clotte, mit son coude sur son genou et sa joue de feu dans sa main, et, comme si elle allait commencer quelque récit extraordinaire :

« Écoutez, — dit-elle avec un regard fou. — J’aime un prêtre ; j’aime l’abbé Jéhoël de la Croix-Jugan ! »

La Clotte joignit les deux mains avec angoisse.

« Hélas ! je le sais bien, — fit-elle ; — c’est de là que vient tout votre malheur.

— Oh ! je l’aime, et je suis damnée, — reprit la malheureuse, — car c’est un crime sans pardon que d’aimer un prêtre ! Dieu ne peut pas pardonner un tel sacrilège ! Je suis damnée ! mais je veux qu’il le soit aussi. Je veux qu’il tombe au fond de l’enfer avec moi. L’enfer sera bon alors ! il me vaudra mieux que la vie… Lui qui ne sent rien de ce que j’éprouve, peut-être se doutera-t-il de ce que je souffre, quand les brasiers de l’enfer chaufferont enfin son terrible cœur ! Ah ! tu n’es pas un saint, Jéhoël : je t’entraînerai dans ma perdition éternelle ! Ah ! Clotilde Mauduit, vous avez vu bien des choses affreuses dans votre jeunesse, mais jamais vous n’en avez vu comme celles qui se passeront près d’ici, ce soir. Vous n’avez qu’à écouter, si vous ne dormez pas cette nuit : vous entendrez l’âme de Dlaïde Malgy crier