Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coulé depuis qu’on l’y voit, je serais plus heureuse : je serais morte et à présent tranquille, comme Dlaïde Malgy, qui dort si bien dans sa tombe, là-bas ! — ajouta-t-elle en tendant son bras qui tremblait vers la haie, par-dessus laquelle on voyait le toit bleu du clocher de Blanchelande, rongé par les violettes vapeurs du soir. — Non, ne me comparez pas à Judith, mère Clotte ! Ne disent-ils pas que l’esprit de Dieu était en elle ? C’est l’esprit du mal qui est en moi ! et il est fort ce soir, cet esprit du mal, connu de vous aussi, Clotilde Mauduit, dans votre jeunesse, que j’en veux finir avec la vie, avec la réserve, avec la fierté, avec la vertu, avec tout !

— Rentrons, ma fille, on pourrait nous entendre à cette porte, et on en dit assez sur vous à Blanchelande », fit la Clotte, presque maternelle.

Et la paralytique prit son bâton à côté d’elle, et, les deux mains dessus, elle passa le seuil de sa porte avec l’effort, douloureux à voir, d’une vieille couleuvre à moitié écrasée par une roue de charrette, qui traverse péniblement une ornière, et va regagner, en face, son buisson.

Jeanne-Madelaine prit le rouet et suivit la Clotte.

« Quenouille finie, — dit-elle en regardant l’ouvrage qu’avait fait la vieille femme, dont la journée avait été laborieuse, — fierté finie et vie finie. Tout finit donc, excepté de souffrir ? Qui sait — continua-t-elle dans une rêverie sombre et en déposant le rouet à sa place ordinaire — si le fil roulé sur ce fuseau ne servira pas à tisser bientôt le drap mortuaire de Jeanne de Feuardent ?…