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faible distance, et elle remettait elle-même aux hommes intrépides qui, comme Quintal ou le fameux Des Touches lui-même, portaient la correspondance du parti royaliste en Angleterre, les lettres de l’abbé de la Croix-Jugan. Cette vie aventureuse et qui la soutenait n’était plus possible. L’abbé avait perdu sa dernière espérance… et il avait serré autour de lui, et avec la rage qui autrefois avait armé son espingole, ce camail brûlant dans lequel il faudrait désormais mourir ! Jeanne sentait bien que même l’œil de cet homme ne la regardait plus depuis qu’il avait été obligé d’abandonner ses desseins. Avec l’élévation de son caractère, et religieuse comme elle l’était, elle dut terriblement souffrir des mouvements désordonnés qui l’entraînaient vers ce prêtre, dont l’âme était inaccessible. Elle se vit, au fond de son cœur, déshonorée. De tels supplices ne se gardent pas éternellement enfermés sous un tour de gorge, comme l’avait dit maître Tainnebouy, et on ne put s’empêcher de les voir, malgré les efforts de Jeanne-Madelaine pour les cacher. Une fois aperçus, une fois cette grande question posée dans Blanchelande : « Qu’a donc cette pauvre maîtresse Le Hardouey ? » Dieu sait tout ce qu’on put ajouter. Sa pure renommée était flétrie. — C’est précisément dans ce temps-là que maître Louis avait connu Jeanne.

« Monsieur, — me racontait-il avec des accents que je ne puis oublier, — je vous l’ai déjà dit, depuis bien longtemps avant cette époque l’entendement n’y était plus, et elle avait bien l’air de ce qu’elle était. J’ai vu souvent qu’on lui parlait, et elle