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pour les âmes, est le sceau de la damnation éternelle. L’histoire de la Malgy ne lui sortait point de la pensée ; elle se croyait réservée à une fin pareille ; mais, d’une autre trempe que cette fille violente et faible, elle s’était imposé le devoir de cacher la passion qui la minait et de ne révéler à personne l’énigme cruelle de sa vie. Illusion commune aux âmes fortes ! On croit pouvoir cacher la folie de son cœur, et, de fait, on la dissimule pendant un laps de temps qui use la vie ; mais tout à coup voilà que la honteuse folie a paru ; voilà que tout le monde en parle et que chacun s’en récrie, sans qu’on sache même comment pareille chose a pu arriver !

Et pour Jeanne ce moment-là était venu. À dater de cette première révélation faite à la servante du curé Caillemer par Nônon Cocouan, des bruits vagues, un mot dit par-ci et par-là, des souffles plutôt que des mots, mais des souffles qui vont tout à l’heure devenir un orage, commencèrent à circuler sur la pauvre Jeanne. D’abord on parla, comme Nônon, de chouannerie… Mais, comme le pays resta tranquille, comme l’abbé de la Croix-Jugan ne fit aucune démonstration extérieure qui prouvât que le chef de Chouans, toujours soupçonné en lui, malgré son attitude de pénitent, vivait et agissait, on perdit peu à peu l’idée qu’on avait eue d’abord pour expliquer les espèces de relations qui existaient entre lui et maîtresse Le Hardouey. La cause royaliste était, en effet, désespérée, et les efforts de cette âme à la Witikind qui respirait sous le capuchon ténébreux de l’ancien moine n’aboutirent jamais à réveiller autour de lui les