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très bien vu Jeanne Le Hardouey entrer dans la sacristie de l’église de Blanchelande, et elle avait très bien deviné, avec son bon sens dépourvu de malice, « que quelque chouannerie couvait là-dessous ». C’était de cela qu’il retournait, en effet. L’abbé de la Croix-Jugan faisait depuis plus de six mois servir Jeanne Le Hardouey à ses desseins. Il la voyait fréquemment chez la Clotte. Il avait jugé sans doute, avec ce regard suraigu des hommes appelés à gouverner les autres hommes, — car, d’après toutes les observations de la comtesse de Montsurvent, il était de cette race-là, — le profit qu’il pouvait tirer de Jeanne-Madelaine. Mariée comme elle l’était à un cultivateur-herbager, elle pouvait, sous prétexte d’aller au marché de Coutances et aux foires du pays, porter des lettres, des informations, des signaux convenus, aux chefs du parti royaliste cachés ou dispersés dans les environs. Qui aurait suspecté une femme dans la position de Jeanne, laquelle continuait de faire, et sans plus, ce qu’elle avait fait toute sa vie ? D’un autre côté, par la nature ferme de son âme, par le souvenir ardent et fier de sa naissance, par l’humiliation de son mariage, par les sentiments nouveaux et extraordinaires qu’il voyait en elle et qui entr’ouvraient, de temps en temps, ce masque rouge de sang extravasé, que les révoltes d’un cœur trop concentré avaient moulé sur son visage, Jeanne offrait à l’abbé de la Croix-Jugan un instrument que rien ne fausserait, et il l’avait saisi comme tel. Ce Jéhoël, qui, à dix-huit ans, était resté muet et indifférent à l’amour fauve et sans frein d’Adélaïde Malgy, le moine blanc