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— Ah ! ma chère dame Barbe, — s’écria Nônon, — je suis couturière à la journée. Je n’ai pas, comme vous, le bonheur, et l’honneur — ajouta-t-elle en parenthèse ravisée — de rester dans un presbytère, toute la semaine des sept jours du bon Dieu, à soigner le dîner de MM. les prêtres et à raccommoder les effets de M. le curé. Il faut que je me lève matin et que je revienne tard à Blanchelande. Je suis obligée de trotter partout, dans les environs, pour de l’ouvrage, et voilà pourquoi je sais et j’apprends bien des choses que vous, avec tous vos mérites, ma chère et respectable fille, vous ne pouvez réellement pas savoir.

— Est-ce que vous avez appris quelque chose — dit Barbe, que la curiosité démangeait et commençait de cuire — ayant rapport à maîtresse Le Hardouey et à l’abbé de la Croix-Jugan ?

— Oh ! rien du tout ! — répondit Nônon, qui aimait, au fond, Jeanne-Madelaine, mais qui cédait au besoin de commérer ancré au cœur de toutes les femmes ; — seulement l’abbé de la Croix-Jugan et maîtresse Le Hardouey se connaissent plus qu’ils ne paraissent ; c’est moi qui vous le dis ! L’abbé, qui est un ancien Chouan et un seigneur, ne met pas, bien entendu, le bout de son pied chez un acquéreur de biens d’Église comme ce Le Hardouey ; mais il voit Jeanne-Madelaine, qui est une Feuardent, une fille de condition, chez la vieille Clotte. Et c’est bien souvent qu’il y va et qu’il l’y rencontre, m’a conté la petite Ingou, qu’on envoie à l’école dès qu’ils arrivent, ou à jouer aux callouets toute seule au fond du courtil.