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quand il y était, qu’on l’entendait à trente pas de là, sur la route.

Les malins qui passaient le long de cette maison, morne et muette, se disaient tout bas avec une brusquerie cynique : « Il fait plus de pèlerinages que de prières, cet enragé de moine-là ! » Mais, le dimanche suivant, les malins retrouvaient le noir capuchon dans la stalle de chêne, avec la ponctualité rigide et scrupuleuse du prêtre et du pénitent.

Or, il y avait un peu plus d’un an que le mystérieux abbé menait cette vie impénétrable, quand, un soir de Vendredi Saint, après Ténèbres, deux femmes qui sortaient de l’église, et qui se dirent bonsoir à la grille du cimetière, prirent, en causant, le chemin du bourg.

L’une d’elles était Nônon Cocouan, la couturière en journée ; l’autre, Barbe Causseron, la servante de l’honnête curé Caillemer. C’étaient toutes les deux ce qu’on appelle de ces langues bien pendues qui lapent avidement toutes les nouvelles et tous les propos d’une contrée et les rejettent tellement mêlés à leurs inventions de bavardes que le Diable, avec toute sa chimie, ne saurait comment s’y prendre pour les filtrer. Barbe était plus âgée que Nônon. Elle n’avait jamais eu la beauté de la couturière. Aussi, servante de curé dès sa jeunesse, à cause du peu de tentations qu’elle aurait offertes aux imaginations les moins vertueuses, elle avait le sentiment de son importance personnelle, et, plus qu’avec personne, ce sentiment s’exaltait-il avec une dévote comme l’était Nônon ! « Elle approchait de MM. les prêtres », disait Nônon