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Clotte n’était pas pour lui une vieille bonne femme ordinaire. S’il était aigle, elle était faucon. Elle représentait, à ses yeux, des souvenirs de jeunesse, ces premières heures de la vie, si chères aux caractères qui n’oublient pas, qu’elles aient été heureuses, insignifiantes ou coupables ! Puis, on était à une époque où l’infortune sociale avait mêlé tous les rangs et où la pensée politique était le seul milieu réel. La France, rouge de sang, s’essuyait. La Clotte, aristocrate, comme on disait alors de tous ceux qui respectaient la noblesse, aurait, sans sa paralysie, été dans la maison d’arrêt de Coutances, pour, de là, être charriée à l’échafaud. L’abbé, Jeanne Le Hardouey et elle parlèrent donc des temps qui venaient de s’écouler, et leurs âmes passionnées vibrèrent toutes trois à l’unisson. La Clotte avait des rancunes plus grandes peut-être que celles du terrible défiguré qui était là devant elle, et dont le visage avait été si atrocement déchiré par les Bleus.

« Ils vous ont fait bien du mal, — lui dit-elle ; — mais moi, qui les bravais, eux et leur guillotine, et qui n’ai jamais voulu porter leur livrée tricolore, faites état qu’ils ne m’ont pas épargnée ! Ils m’ont prise à quatre, un jour de décade, et ils m’ont tousée sur la place du marché, à Blanchelande, avec les ciseaux d’un garçon d’écurie qui venait de couper le poil à ses juments. »

Et cet outrage rappelé creusa la voix de la vieille et donna à ses yeux pers l’expression d’une indéfinissable cruauté.

« Oui, — reprit-elle, — ils se mirent à quatre