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deux réchauds de pensées allumés et asphyxiants de lumière, éclairaient tout cela, comme la foudre éclaire un piton qu’elle a fracassé. Le sang faufilait, comme un ruban de flamme, ses paupières brûlées, semblables aux paupières à vif d’un lion qui a traversé l’incendie. C’était magnifique et c’était affreux !

La Clotte demeura stupéfaite.

« Eh bien ! — dit-il, orgueilleux peut-être de l’effet que produisait toujours le coup de tonnerre de sa sublime laideur, — reconnais-tu, Clotilde Mauduit, dans ce restant de torture, Ranulphe de Blanchelande et Jéhoël de la Croix-Jugan ? »

Quant à Jeanne, elle n’était plus pâle. Sur sa pâleur sortaient de partout des taches rouges, un semis de plaques ardentes, comme si la vie, un instant refoulée au cœur, revenait frapper contre sa cloison de chair avec furie. À chaque mot, à chaque geste de l’abbé, apparaissaient ces taches effrayantes. Il y en avait sur le front, aux joues. Plusieurs se montraient déjà sur le cou et sur la poitrine, et c’était à croire, à tous ces désordres de teint, que maître Tainnebouy avait raison avec sa grossière physiologie, et qu’elle avait le sang tourné !

« Si, — dit la Clotte, — je vous reconnais, malgré tout. Vous êtes toujours le même Jéhoël qui nous imposait, à nous toutes, dans nos folles jeunesses ! Ah ! vous autres seigneurs, qu’est-ce qui peut effacer en vous la marque de votre race ? Et qui ne reconnaîtrait pas ce que vous étiez, aux seuls os de vos corps, quand ils seraient couchés dans la tombe ? »