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La pauvre tête perdue s’abandonna aux faiseuses de breuvages, qui lui donnèrent des poudres pour se faire aimer. Elle les jetait subtilement, par derrière, dans le verre du moine, à la soupée ; mais les poudres étaient des menteries. Rien ne pouvait empoisonner l’âme de Jéhoël. Tout indigne qu’il fût, Dieu gardait-il son prêtre ? ou l’Esprit des ténèbres se servait-il de l’oint du Seigneur pour mieux maîtriser le cœur de Dlaïde ?… Exemple effroyable pour nous toutes, mais qui ne nous profita pas ! Dlaïde Malgy passa bientôt pour une possédée et une coureuse de guilledou, dans tout le pays. Les femmes se signaient quand elles la rencontraient le long des chemins, ou assise contre les haies, presque à l’état d’idiote, tant elle avait le cœur navré ! D’aucuns disaient qu’elle n’était pas toujours si tranquille… et que, la nuit, on l’avait vue souvent se rouler, avec des cris, sur les têtes de chat de la chaussée de Broquebœuf, hurlant de douleur, au clair de lune, comme une louve qui a faim. C’était peut-être une invention que cette dirie de la chaussée de Broquebœuf… mais ce qui est certain, c’est que, dans le temps, quand nous allions nous baigner dans la rivière, je comptai bien des meurtrissures, bien des places bleues sur son pauvre corps, et quand je lui demandais : « Qu’est-ce donc que ça ? où t’es-tu mise ?… » elle me disait, dans son égarement : « C’est une gangrène qui me vient du cœur et qui me doit manger partout. » Ah ! sa beauté et sa santé furent bientôt mangées. La toux la prit. C’était la plus faible d’entre nous. Mais la maladie et son corps, qui se fondait comme un suif au feu, ne l’empêchèrent