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lui qu’il avait pour son état de prêtre, et je n’ai pas de peine à croire que cela ait été l’idée de pareils réprouvés, mon enfant !

— Comment était-il quand vous l’avez connu ? — fit avidement Jeanne-Madelaine.

— Je vous l’ai dit, ma fille, il était bien jeune alors, — dit la Clotte, — oui, jeune d’âge ; mais qui le voyait ou l’entendait ne l’aurait pas dit, car il était sombre comme un vieux. Jamais son visage ne s’éclaircissait. On disait qu’il n’était pas heureux d’être moine, mais ce n’était pas, malgré sa grande jeunesse, un homme à se plaindre et à porter la tonsure qui lui brûlait le crâne moins fièrement qu’il n’eût fait un casque d’acier. Il était haut comme le ciel, et je crois que l’orgueil était son plus grand vice. Car, je vous l’ai déjà dit, mon enfant, nous étions là, au château de Haut-Mesnil, une troupe d’affolées, et jamais, au grand jamais, je n’ai entendu dire que l’abbé de la Croix-Jugan ait oublié sa robe de prêtre avec aucune de nous.

— Pourquoi donc, s’il était ce que vous dites, — repartit Jeanne, — allait-il au château de Haut-Mesnil ?

— Pourquoi ? Qui sait pourquoi, ma fille ? — dit la Clotte. — Il trouvait là des seigneurs comme lui, des gens de sa sorte, et des occupations qui lui plaisaient plus que les offices de son abbaye. Il n’était pas né pour faire ce qu’il faisait… Il chassait souvent, tout moine qu’il fût, avec les seigneurs de Haut-Mesnil, de la Haye et de Varanguebec, et c’était toujours lui qui tuait le plus de loups ou de sangliers. Que de fois je l’ai vu, à la soupée, couper la hure saignante et les