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par les vampires du château de Haut-Mesnil ? On ne les voyait plus. La bouche n’était qu’une ligne recourbée, orgueilleuse. La Clotte portait un corset couleur de rouille en droguet, un cotillon plissé à larges bandes noires sur un fond gris, et un devantey bleu en siamoise. À côté de son fauteuil, on voyait son bâton d’épine durcie au four sur lequel elle appuyait ses deux mains, quand, avec des mouvements de serpent à moitié coupé qui tire son tronçon en saignant, elle se traînait jusqu’au feu de tourbe de sa cheminée afin d’y surveiller soit le pot qui chauffait dans l’âtre, soit quelques pommes de reinette ou quelques châtaignes qui cuisaient pour la petite Ingou.

« Je vous ai reconnue au pas, mademoiselle de Feuardent, — dit-elle quand Jeanne parut au seuil garni de paille de sa demeure, — j’ai reconnu le bruit de vos sabots. »

Jamais, depuis son mariage, la Clotte n’avait appelé Jeanne Le Hardouey du nom de son mari. Pour elle, Jeanne-Madelaine était toujours Mademoiselle de Feuardent, malgré la loi et, disait cet esprit fort de village, malgré les simagrées des hommes. Quand elle n’était pas en train de maudire ce mariage, elle l’oubliait.

Jeanne souhaita le bonsoir à la Clotte et vint s’asseoir sur un escabeau à côté de la paralytique.

« Ah ! — dit-elle, — je suis fatiguée ; — et elle fit un mouvement d’épaules, comme si sa pelisse avait été de plomb. — Je suis venue trop vite, — ajouta-t-elle pour répondre au regard de la Clotte, qui avait laissé tomber son tricot sur ses genoux et