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de Haut-Mesnil faisait de son château le repaire d’une noblesse qui se corrompait dans le sang des femmes, quand elle ne se ravivait pas dans le sang des ennemis. Clotilde Mauduit, après sa chute, fut une des reines villageoises des fêtes criminelles qu’on y célébrait. Seulement, ce n’était pas aux reins que cette bacchante portait sa peau de tigre, c’était autour du cœur. La nature avait jeté cette fille du peuple dans le moule vaste et glacé des grandes coquettes, non de celles-là qui prennent à la pipée des imaginations imbéciles avec les singeries de l’amour, mais de celles qui ont le calme meurtrier des sphinx et qui exaspèrent les coupables passions qu’elles font naître avec les cruautés du sang-froid. Au château de Haut-Mesnil, les débauchés qui l’y attirèrent, avec tant d’autres belles filles des environs, l’appelaient Hérodiade. C’est là qu’elle avait connu Louisine-à-la-hache, bien différente d’elle et de toutes les autres femmes qui s’enfonçaient sous les voûtes de ce dévorant château, sous la cambrure rougie de ce four dévorant de la débauche, d’où la beauté, la pudeur, la vertu, la jeunesse ne ressortaient jamais qu’en cendres !

Louisine, qui avait vécu pure là où les autres s’étaient perdues, n’y resta pas longtemps après son mariage avec Loup de Feuardent. Cette connaissance de sa mère, cette amitié de jeunesse, était la principale raison qui avait attiré à la Clotte l’intérêt de Jeanne. Tout ce qui lui parlait de sa mère lui était sacré ! Une autre raison encore de cet intérêt qu’elle montrait courageusement à la Mauduit, car, dans