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troisième, sur le berceau duquel on avait mis le ruban de l’ordre de Malte, était allé, vers quinze ans, rejoindre son oncle le commandeur et commencer ce qu’on appelait les caravanes. Enfin, le dernier de tous, celui dont il était question, obligé d’être prêtre pour obéir à la loi des familles nobles de ce temps, et destiné à devenir, bien jeune encore, évêque de Coutances et abbé de l’abbaye de Blanchelande, n’était encore que simple moine quand la Révolution éclata.

— Et une bonne abbaye que Blanchelande ! — fit maître Le Hardouey, — et qui valait gros à l’abbé ! C’était là une maison de bénédiction pour ceux qui l’habitaient. On n’y riait pas que du bout des dents, comme saint Médard, et on n’y chantait pas que du plain-chant, comme dans votre église, monsieur le curé. On y passait le temps joyeusement à l’époque où le Talaru menait le diocèse comme un ivrogne mène sa jument, et, jarnigoi ! ce n’est pas menterie, monsieur le curé, car j’ai vu, moi, cet évêque d’ancien régime et tous les moines de l’abbaye…

— Allons, allons, maître Thomas, — dit le curé en interrompant amicalement les souvenirs peu respectueux de son paroissien, — je ne veux pas savoir ce que vous prétendez avoir vu, et, d’ailleurs, vous êtes un petit brin mauvaise langue, et peut-être mauvaise vue et mauvaise mémoire par-dessus le marché. Je sais qu’il y a eu bien des abus et bien du péché, même dans l’Église, et que notre seigneur de Talaru, qui avait été officier de cavalerie, n’avait pas assez oublié l’esprit de son premier état. Mais à tout péché