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pour sa femme, et aussi par cet esprit de faste grossier et d’hospitalité bruyante, l’attribut de tous les parvenus. Le curé, d’un autre côté, avait en lui tout ce qui fait pardonner d’être prêtre aux esprits irréligieux, bornés et sensuels comme était Le Hardouey et comme il en est tant sorti du giron du dix-huitième siècle. L’abbé Caillemer était ce qu’on appelle un homme à pleine main, de joviale humeur, rond d’esprit comme de ventre, ayant de la foi et des mœurs, malgré son amour pour le cidre en bouteille, le gloria et le pousse-café, trois petits écueils contre lesquels, hélas ! vient échouer quelquefois la mâle sévérité d’un clergé né pauvre, et dont la jeunesse n’a pas connu les premières jouissances de la vie. L’abbé Caillemer ajoutait à toutes ces qualités vulgaires de n’avoir point, dans son être extérieur, ce caractère de dignité sacerdotale que la basse classe des esprits ne peut souffrir, parce qu’il lui impose et qu’elle est obligée de le respecter.

« Quand j’ai rencontré M.  le curé, — fit le fermier en s’asseyant à sa table, étincelante de pots d’étain, et en s’adressant à sa femme, — il n’était pas seul, il avait avec lui un confrère. Et si ce n’était pas un confrère, et que je ne craignisse pas de manquer de respect à M. le curé, je dirais qu’il a plutôt l’air d’un diable que d’un prêtre. Je l’ai invité aussi à notre repas, quoique, par ma foi, Jeannine, vous eussiez bien pu, toute hardie que vous êtes, en avoir peur. »

Jeanne sourit, mais la pommette de sa joue brûlait.

« Je sais, — dit-elle ; — je l’ai vu aux vêpres et au salut.