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de le faire. Elle le voyait souvent, et souvent elle lui avait donné de l’argent ou du blé pour les pauvres de la paroisse ; car, religieuse d’éducation et royale de cœur, Jeanne était aumônière, comme disaient les mendiants du pays, qui ôtaient leur bonnet de laine grise quand ils parlaient d’elle.

Cette libéralité, qui s’exerçait parfois à l’insu de maître Le Hardouey, était une raison pour que le curé vînt fréquemment au Clos. Il n’y était guère attiré par le maître du logis, qui avait acheté des biens d’Église, et dont la réputation était, pour cette raison, loin d’être bonne.

Le Temps, qui jette sur toutes choses, grain à grain, une impalpable poussière, laquelle, sans l’Histoire, finirait par couvrir les événements les plus hauts, le Temps a déjà répandu son sable niveleur sur bien des circonstances d’une époque si peu éloignée, et nous n’avons plus la note juste que donnaient les sentiments d’alors. Un acquéreur des biens d’Église inspirait à peu près l’horreur qu’inspire le voleur sacrilège, et il n’y a guère que la raison immortelle de l’homme d’État qui comprenne bien aujourd’hui ce qu’avait de grand et de sacré une opinion qui paraît excessive aux esprits lâches et perdus de la génération actuelle. Au sortir de ces guerres civiles, le curé de Blanchelande avait besoin de se rappeler son ministère de paix et de miséricorde pour ne pas regarder Thomas Le Hardouey comme un ennemi. Aussi n’était-ce qu’en considération de Jeanne qu’il acceptait les politesses du riche propriétaire, son paroissien. Ce dernier les faisait, du reste, un peu par déférence