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— reprit-il. — Ce n’est pas avec de la viande ou du pain qu’on apaise la colère d’un homme. Non, non ! l’homme qui dépendrait de son ventre au point de manger l’oubli des injures avec le pain qu’on lui jetterait n’aurait qu’un gésier à la place de cœur. J’compterons plus tard, maîtresse Le Hardouey !

— Prends garde aux menaces, pâtureau ! — fit-elle, plus menaçante que lui et entraînée par son caractère décidé.

— Ah ! je sais bien — dit le berger avec un regard profond et une bouche amère — que vous êtes haute comme le temps, maîtresse Le Hardouey ! Mais vous n’êtes pas ici sous les poutres de votre cuisine. Vous êtes au Vieux Presbytère, dans un mauvais carrefour où âme qui vive ne passera plus maintenant que demain matin. Qu’est-ce donc qui m’empêcherait, si je voulais ? — ajouta-t-il lentement en grinçant un sourire féroce qui fit briller son œil vitreux, et montrant son bâton de houx… — Mais je ne veux pas ! Non, je ne veux pas ! — fit-il avec explosion. — Les coups attirent les coups. Lâchez c’te pierre que vous avez prise et soyez tranquille. Je ne vous toucherai pas ! Ils diraient que je vous ai assassinée, si je portais seulement la main à votre chignon, et je roulerais bientôt au fond de la prison de Coutances. Il y a de meilleures vengeances, et plus sûres. La corne met du temps à venir au tauret, et ses coups n’en sont que plus mortels. Allez ! marchez ! — insista-t-il d’une voix sinistre. — Vous vous souviendrez longtemps des vêpres d’où vous sortez, maîtresse Le Hardouey ! »