Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car elle avait gardé son bavolet et cette fière coiffe de la conquête, abandonnée aux paysannes en Normandie, mais qui n’en est pas moins digne de la tête d’une fille de roi. Heureusement Louisine, qui n’avait plus de mère, était de cette famille d’êtres forts qui s’élèvent seuls, et dont Dieu a sculpté la lèvre de manière à trouver de quoi boire aux mamelles de bronze de la Nécessité.

Elle sut imposer un respect qu’ils ne connaissaient plus aux hommes sans frein dont elle était entourée. Elle inspira même à quelques-uns d’entre eux de ces passions d’âmes inassouvies qui se soulèvent avec les rages du vieux Tibère à Caprée, contre leur propre assouvissement.

On le conçoit. La jeune fille en elle voilait l’amazone de ses timidités rougissantes.

C’était un piquant mélange que cette combinaison d’intrépidité et de suave faiblesse dans cette jeune et innocente meurtrière de deux hommes, que ces quelques gouttes d’un sang fièrement versé, retrouvées sur ses bras, plus frais que la fleur des pêchers ! C’était un goût nouveau qu’aurait ce breuvage dans leur verre, à ces blasés de gentilshommes, à ces satrapes usés de jouissances ; et plus d’une fois ils voulurent l’y faire couler ! Mais Louisine-à-la-hache, on l’a vu, savait se défendre, et elle se défendit si bien que Loup de Feuardent, qui n’avait plus guère qu’un débris de fortune et à qui nulle femme de hobereau bas-normand n’aurait voulu donner sa fille, ayant conçu pour elle une passion irrésistible, mit cette tache dans son blason et l’épousa.