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Le brigand s’était sauvé, et, s’il y en avait d’autres dans le voisinage, la fin de la messe s’avançant, ils n’avaient pas osé venir.

C’était depuis cette aventure mémorable que la Louisine avait été traitée au château comme une enfant gâtée, ou comme une sultane favorite. Cette mâle intrépidité dans une fillette, cette enfant à qui il ne fallait peut-être, pour être une héroïne, que l’occasion historique, cette Jeanne Hachette obscure, qui n’avait pas tous les yeux d’une ville sur elle pour lui décharger dans le cœur les chocs électriques du courage, fut l’objet de l’enthousiasme des amis du vicomte de Haut-Mesnil, de ces nobles qui, à travers leurs vices, n’avaient qu’une vertu restée fidèle, la vertu du sang, la bravoure. Remi de Sang-d’Aiglon crut sans doute reconnaître une inspiration de sa race dans le courage de cette enfant, et sentit sa paternité longtemps muette se réveiller par les tressaillements de l’orgueil.

Il fit asseoir Louisine à sa table et lui donna, malgré sa jeunesse, la haute main et la surveillance du château. Souvent il l’emmena dans ses parties de chasse. Il aimait à la voir abattre un sanglier aussi bien que lui, et monter avec l’adresse hardie d’une Cotentinaise les chevaux les plus jeunes et les plus fringants. À coup sûr, si Louisine avait eu l’âme faible, c’eût été pour elle une mauvaise école que le château de Haut-Mesnil, que ces festins qu’elle présidait au retour des chasses, et dont les convives y amenaient des femmes sans vertu et se gênaient d’autant moins qu’elle n’était pas une demoiselle, une fille de leur rang, et que tout le leur rappelait, même le costume de Louisine-à-la-hache ;