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entendirent parler de cet homme à leurs pères, il en sort ou le feu d’une imprécation ou la pâleur glacée de l’effroi.

Pendant vingt ans il avait été l’horreur et la désolation de la contrée. Dernier venu d’une race faite pour les grandes choses, mais qui, décrépite, et physiologiquement toujours puissante, finissait en lui par une immense perversité, il était duelliste, débauché, impie, contempteur de toutes les lois divines et humaines ; il avait enfin tous les vices qui peuvent tenir en faisceau dans un lien de fer sans le fausser, car son âme en était un que la plus épouvantable corruption ne put amollir.

On disait que la fille de son garde, le vieux Dagoury, le fameux sonneur de trompe qui sonnait toujours dans une chasse et faussait les meilleurs instruments avec son souffle de fer rougi, si bien qu’on prétendait qu’il avait fait un pacte avec le Diable pour pouvoir sonner de cette force-là ! oui, on disait que la fille de Dagoury était la sienne, et la dissolution des mœurs du maître expliquait bien la honte du valet. Cette fille était la belle Louisine. Ce qui autorisait encore de pareils bruits, c’est que Louisine n’était point traitée au château de Haut-Mesnil comme la fille d’un serviteur. Elle y jouissait d’une position étrange, exceptionnelle, osée, depuis le jour surtout où elle avait conquis, par une intrépidité étonnante dans une si jeune enfant, ce nom singulier de Louisine-à-la-hache qu’elle porta jusqu’à sa mort. Voici le fait en quelques mots :

Un jour, un dimanche, tous les gens du village