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de l’Histoire, la Poésie, fille du Rêve, attache son rayon.

C’est à la lueur tremblante de ce rayon que l’auteur de L’Ensorcelée a essayé d’évoquer et de montrer un temps qui n’est plus. Il continuera l’œuvre qu’il a commencée. Après L’Ensorcelée, il a publié Le Chevalier Des Touches ; il publiera Un Gentilhomme de grand chemin, Une tragédie à Vaubadon, etc., etc., entremêlant dans ses récits le roman, cette histoire possible, à l’histoire réelle. Qu’importe, du reste ? Qu’importe la vérité exacte, pointillée, méticuleuse, des faits, pourvu que les horizons se reconnaissent, que les caractères et les mœurs restent avec leur physionomie, et que l’Imagination dise à la Mémoire muette : « C’est bien cela ! » Dans L’Ensorcelée, le personnage de l’abbé de la Croix-Jugan est inventé, ainsi que les autres personnages qui l’entourent ; mais ce qui ne l’est pas, c’est la couleur du temps, reproduite avec une fidélité scrupuleuse et dans laquelle se dessinent des figures fortement animées de l’esprit de ce temps. L’écueil des romans historiques, c’est la difficulté de faire parler, dans le registre de leur voix et de leur âme, des hommes qui ont des proportions grandioses et nettement déterminées par l’Histoire, comme Cromwell, Richelieu, Napoléon ; mais le malheur historique des Chouans tourne au bénéfice du romancier