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Enfin, vous êtes le seul encore à l’amour duquel, avec mon expérience des hommes, je me serais livrée sans peur et sans fausse honte, tant les défiances que j’ai eues longtemps, vous avez su les surmonter et les vaincre. Voilà, Raimbaud, ce que vous m’êtes, et pourtant tout cela n’est pas de l’amour. Je sens toujours en moi le calme effroyable dont j’espérais que vous me feriez sortir. Je voudrais vous être asservie, et je ne le suis pas. Les sacrifices que je vous ferais, je ne vous les ferais que comme à un ami qu’on estime, sans entraînement, sans ivresse. Il y a des soirs où vous me plaisez extrêmement dans la causerie ; mais à quoi plaisez-vous en moi ? C’est à mon esprit ; et je ne sens pas, comme quand on aime, le contre-coup de ce plaisir me troubler le cœur. Vous n’êtes pas pour moi l’intérêt passionné que j’attendais et dans lequel je voulais perdre l’ennui terrible de ma vie. Moi qui ai aimé, — et des hommes que vous auriez raison de mépriser, Raimbaud, — je ne puis me méprendre à ce qui est ou n’est pas de l’amour… Vous en êtes digne, et moi, qui le reconnais, je n’en saurais éprouver pour vous. Ah ! mon ami, pour qu’il en soit ainsi, il faut qu’il n’y ait plus rien en moi de vivant, d’ardent et de jeune. Tout est consommé, tout est fini ; je m’agite encore, je me monte la tête, mais c’est inutile. Je retombe dans l’horrible sensation de mon