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et dont elle avait senti, à travers le vêtement, les pointes d’acier aiguës et blessantes. C’était un ravissant bijou que ce portefeuille. Il avait été donné à M. de Maulévrier par Mme d’Anglure, mélancolique souvenir de l’amour absent et fidèle ! Elle l’ouvrit, et, après en avoir tourné curieusement les feuilles blanches encore et parfumées, elle (qui écrivait d’ordinaire des billets du matin à peine lisibles) traça dans sa main et les coudes en l’air, avec une netteté et une fermeté admirables, de la pointe du léger crayon que les suppliantes caresses de M. de Maulévrier ne firent point trembler, le mot jamais, qu’elle lui montra avec une malice triomphante.

À la réponse, n’est-il pas facile de deviner ce que cet enragé de Maulévrier demandait ?

Ce grand mot de jamais, elle l’avait déjà dit, et il n’y avait pas cru, amoureux et fat tout ensemble ! Elle l’avait dit, et, mon Dieu ! toutes le disent et le répètent jusqu’à ce qu’elles… ne le disent plus.

Seulement, nulle d’elles peut-être, comme la marquise, n’eût songé à l’écrire, ce mot, dans un pareil moment d’un tête-à-tête, et cela d’une main aussi libre et aussi sûre que si elle avait écrit le temps qu’il faisait à Paris à son mari, toujours à la suite de l’ambassadeur de Russie.