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avait d’abord cru habiles. D’honneur, elle aurait mérité de porter dans ses armes la devise des Ravenswood. Elle attendit le moment de la revanche avec une patience orgueilleuse, et il ne manqua pas d’arriver. Ce pauvre Maulévrier se sentait pris par la famine, faute de demander ce que peut-être on ne lui refuserait pas. Aussi, après avoir caracolé, pour l’honneur des armes, sur les limites d’une galanterie que sa vanité d’homme gâté par l’amour aveugle d’une maîtresse esclave ne devait pas franchir d’un bond, il s’attacha enfin au courageux parti de sortir d’un sigisbéisme chevaleresque qui, avec cette damnée marquise, aurait pu durer sans profit jusqu’à la consommation des siècles. Il saisit l’occasion qu’elle lui offrait tous les soirs, dans leurs longs tête-à-tête sur la même causeuse, pour lui dire très positivement ce qu’elle n’aurait peut-être pas voulu comprendre s’il s’en fût tenu à la lettre morte des cajoleries innocentes. Comme, depuis quelques jours, Bérangère, très contente au fond du trouble qu’elle causait à un homme de l’aplomb de M. de Maulévrier, redoublait de beauté par l’intérêt qu’avaient pour elle, si ennuyée d’ordinaire, des relations qui pourraient plus tard passionner sa vie, Maulévrier n’eut pas de peine à oublier ses idées un peu sultanesques sur les femmes, et à parler avec beaucoup de facilité et d’entraînement un langage bien plus sup-