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conditions de sa nature, avec la froideur des sens, la mobilité de l’imagination et l’intelligence qui pousse au mépris. C’était beaucoup moins souffrir qu’elle ne l’affectait.

M. de Maulévrier se leva et vint s’asseoir à côté d’elle, comme s’il eût voulu constater, en s’approchant, par quel endroit de la cuirasse avait pénétré la blessure dont elle se plaignait. Il pensait que les cœurs qui ont aimé sont incorrigibles, et il se sentait un grand espoir.

— Vous croyez donc — reprit-elle avec un accent de reproche dont il fut complètement la dupe — que j’ai toujours été ce que je suis ? Le monde dit de moi que je suis une coquette, et il y a du vrai dans ce jugement ; mais si je le suis devenue, à qui la faute ? si ce n’est à ceux qui m’ont flétri le cœur ? Les hommes valent-ils l’amour qu’on a pour eux ? si vous m’aviez connue dans ma jeunesse, avant que j’eusse aimé et souffert, vous ne croiriez plus que ce portrait est une fantaisie d’artiste, une exagération, un mensonge. Je vivais à Grenoble alors, et j’étais une jeune fille rêveuse, passionnée, romanesque, mais si timide qu’on m’avait donné le nom de la Sauvage du Dauphiné.

Le mot de sauvage, sur des lèvres si parfaitement apprivoisées, fit sourire M. de Maulévrier.

— Vous êtes comme les autres, — continua-t-elle en remarquant son sourire, — vous ne