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d’un caractère si positif, même quand elle cherchait le plus à l’adoucir, — habile comédienne, mais heureusement impuissante.

— Vous regardez ce portrait ? — dit-elle, lisant dans sa pensée ; — vous ne trouvez donc pas qu’il ressemble ?

— Non, — répondit-il, regardant toujours.

— Eh bien ! cela a été frappant, — reprit-elle. — Mais alors je n’avais pas souffert ; j’étais jeune encore plus de cœur que d’années. Tous ceux qui m’ont connue à cette époque, MM. de Montluc, par exemple, vous diront que ce portrait était frappant.

— Pourquoi, — dit Maulévrier avec une curiosité intéressée, voilée sous un de ces airs à sentiment que les hommes d’esprit les plus moqueurs peuvent se permettre quand on n’est que deux dans une chambre, — pourquoi ne m’avez-vous jamais confié que vous avez souffert ?

En effet, elle ne le lui avait pas dit depuis les quelques semaines qu’ils se connaissaient. C’était étonnant, mais l’occasion ne s’était pas présentée d’improviser une de ces sonates de musique allemande qu’elle ne manquait jamais d’exécuter sur les peines du cœur et les ravages de la jeunesse. J’ai averti que c’était là une de ses coquetteries sérieuses. Elle avait souffert, il est vrai, puisqu’elle avait aimé un homme indigne d’elle, mais elle avait souffert dans les