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dans sa tête pendant que Mme d’Anglure répondait longuement à ses questions. Il y avait peut-être le singulier intérêt qui s’attache pour toute femme à un amour qui n’est pas pour elle ; peut-être aussi un peu de malice, car Mme d’Anglure paraissait un peu sotte à sa tendre amie, et celle-ci s’était étonnée plus d’une fois qu’une pareille femme eût pu fixer un homme du mérite de M. de Maulévrier.

En effet, M. de Maulévrier avait un mérite incontesté dans le monde ; il y jouissait d’une réputation superbe d’homme d’esprit qui, comme la Fortune, était venue s’asseoir à sa porte sans qu’il lui eût fait la moindre avance. Son indolence était telle qu’on pouvait le voir cinquante fois de suite et ne pas connaître, comme l’on dit, la couleur de ses paroles. Eh bien ! son silence lui réussissait. On le respectait comme un serpent engourdi ; il passait, à raison ou à tort peut-être, mais enfin il passait pour un homme supérieur.

Cette réputation était venue jusqu’à Mme de Gesvres. Aussi lui semblait-il étrange que M. de Maulévrier eût eu la méprise d’un amour sérieux pour Mme d’Anglure ; comme si l’esprit était nécessaire pour se faire aimer, quand on a des manières pleines d’élégance et un genre de beauté très relevé et vraiment patricien ! Ces avantages si nets, Mme d’Anglure les possédait à un degré éminent ; que lui fallait-il davan-