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peu dans le monde et que M. de Maulévrier était fort blasé sur les plaisirs qu’on y goûte, il n’était pas étonnant qu’ils ne s’y fussent jamais rencontrés. D’un autre côté, dans le temps du règne de Mme de Gesvres, M. de Maulévrier ne vivait point à Paris.

Une chose qui prouve admirablement en faveur de notre société actuelle, c’est qu’autant on se perd corps et âme dans le mariage, autant on reste à la surface du monde au sein de l’amour le plus profond et le plus vrai. Un homme gagne cent pour cent aux yeux de toutes les femmes quand il passe pour avoir cette rareté grande, une véritable passion dans le cœur. C’est une distinction inappréciable, une décoration qui sied à l’air du visage ; cela fait bien, comme diraient des femmes de l’ordre de la Toison d’or sur une cravate de velours noir. Malgré la démocratie qui nous emporte, la Toison d’or aura encore pendant longtemps un très grand charme de parure ; mais quand on ne l’a pas à s’étaler sur la poitrine, un attachement très avoué pour une femme en particulier pose merveilleusement auprès des autres.

En sa qualité de femme, la marquise de Gesvres subissait cela comme les moins distinguées de son espèce. Aussi, plus d’une fois avait-elle demandé des détails à Mme d’Anglure sur la grande passion de M. de Maulévrier. Le diable sait seul probablement ce qui se passait