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quelque baiser vide, quelque sombre et vaine caresse, par dédommagement du bonheur manqué et de l’enthousiasme impossible !

Que de fois ils se dirent que pour eux il n’y avait qu’eux cependant, mais ne s’expliquant pas par quel charme l’amour qu’ils cherchaient dans les autres, ils ne le rencontraient pas dans leur cœur, puisque leur seul intérêt dans le monde naissait quand ils étaient réunis !

Ils vivaient ainsi ; triste vie, sentiment sans nom parmi les hommes, relation que le monde ne comprenait pas.

Plus leur espoir d’aimer une fois encore tarissait dans leurs âmes impuissantes, plus ils se sentaient étroitement liés par ce qui ne pouvait être un lien entre eux et personne ! plus ils sentaient qu’ils n’avaient rien à se préférer !

Quand lui sortait des bras d’une femme, ne venait-il pas, avec une ardeur avide, essuyer ses lèvres à ces mains de marbre que l’amitié lui tendait, et livrer à la plus spirituelle moquerie tous ses bonheurs incomplets à flétrir !

Quand elle, plus coquette que les plus coquettes de Marivaux, avait prêté sa charmante oreille aux adorations qu’elle faisait naître, ne venait-elle pas, la bouche dégoûtée et les yeux mornes, poser sa tête lasse sur cette poitrine qu’elle n’animait plus ! Alors, — on ne sait, — qui pourrait assurer de telles choses ? — regrettaient-ils tous deux de n’être pas amants au