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emportement Mme de Gesvres, poussée à bout par un aveuglement si obstiné, — comment donc faire pour vous arracher cette folle croyance, pour vous convaincre de la vérité de mes aveux ? Non ! je n’aime pas Raimbaud ; non ! je n’ai jamais été, je ne suis pas sa maîtresse. Le monde l’a dit, je le sais bien ; mais vous, que j’ai défendue autrefois contre le monde, vous savez si je sacrifierai jamais rien à de sots propos. Vous connaissez mon indépendance. Aujourd’hui vous me prouvez que cette indépendance a toujours des dangers pour une femme. On la punit en se méprenant sur ses amitiés. Caroline, le monde me croit plus jeune que je ne suis ; vous aussi, vous me jugez d’après ce que vous avez de jeunesse et d’amour dans le cœur ; mais je ne vous ressemble pas, j’ai l’âme si vieille, si dépouillée ! Quand j’aurais voulu aimer Raimbaud, je ne l’eusse pas pu !

Et dominée par le besoin d’être crue, que les négations de Mme d’Anglure avaient si vivement irrité en elle, elle se mit à lui dire sur l’impuissance de son cœur, sur le néant de sa nature, des choses vraies, mais qui devaient demeurer incompréhensibles pour la comtesse. Entraînée presque hors d’elle-même, elle lui révéla ce qu’elle était ; elle le fit avec éloquence, elle lui montra, une par une, ce qu’elle appelait les misères de son âme ; elle lui dit ses