Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette destinée qu’il avait perdue. Pitié que l’amour-propre empêche d’être amère, et à laquelle, pour cette raison, sans nul doute, le cœur de l’homme sait se livrer avec abandon !

Elle qui finissait la vie comme elle l’avait commencée, par un seul amour, jouissait tristement de l’attendrissement de M. de Maulévrier, et lui souriait au milieu de toutes ses souffrances, avec les larmes de la reconnaissance et du désespoir dans les yeux. Elle ne parlait plus en termes irrités de la marquise, de cette voleuse d’amants qu’elle aurait désiré parfois dénoncer à toutes les femmes, et pourtant les aveux de Maulévrier ne l’avaient point persuadée. Elle croyait qu’il était aimé de la marquise, et qu’il l’aimait assez pour avouer son amour et le proclamer malheureux, pour se vanter de ses rigueurs. Elle voyait là un généreux mensonge. Elle n’était pas une observatrice de premier ordre, cette suave enfant qu’ils avaient appelée la Belle et la Bête ; front charmant, mais bien parfaitement fermé à la lumière, elle ne comprenait guères que ce qui était simple, et jugeait les autres par elle-même. Une femme de la complication de Mme de Gesvres ne pouvait pas tomber sous ce sens étroit, les relations de M. de Maulévrier avec Mme de Gesvres être expliquées par cette nature toute droite, qui était venue, comme une fleur, en pleine terre, à la campagne.