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comme une voix ironique qui le raillait après tout ce qui s’était passé. Son succès manqué, et rappelé de cette façon innocente, le rendit implacable, et lui qui se taisait par une délicatesse plus du monde encore que du cœur, se mit à dire les choses, haut et clair, à l’infortunée :

— Puisque vous voulez la vérité, Caroline, vous avez raison : j’aime Mme de Gesvres, c’est-à-dire que je l’ai beaucoup aimée, car je crois cet amour affaibli déjà dans mon cœur ; mais ne parlez pas de sa jalousie, ne parlez pas de tout ce dont vous parliez à l’instant : elle n’est pas jalouse, car elle ne m’a jamais aimé, car elle ne s’est jamais livrée, car tout l’amour que j’ai eu pour elle n’a jamais pu entraîner le sien.

Elle le regarda avec des yeux bien ronds et bien incrédules, en secouant tristement la tête, imaginant sans doute qu’il mentait encore. Elle ne comprenait pas qu’une femme pût ne pas aimer l’homme dont elle était folle, son Raimbaud.

— Vous ne me croyez pas, Caroline ? — fit M. de Maulévrier, qui ne voyait pas d’où venait cette incrédulité adorable. — Oh ! vous ne connaissez pas la marquise. Vous la jugez comme on la juge dans le monde ; vous la croyez plus que légère, une femme aux amours faciles et rapides, elle dont la froideur est invincible et