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de part en part. Mme d’Anglure, qu’il avait quittée avec tant de brusquerie et qui avait suivi son mouvement et l’expression de ses traits pendant qu’il parlait à Mme de Gesvres, devint plus pâle que lui en voyant le changement soudain qu’avait produit en toute sa personne le mot dit à voix basse par la marquise. La jalousie revint vite à ce cœur déchiré ; mais alors, débarrassée de tous ses doutes, elle y revint avec une inébranlable certitude.

Ce qu’il y avait d’insupportable dans les sensations de M. de Maulévrier, c’est que ces sensations se combattaient, c’est qu’il ne pouvait s’abandonner franchement au mouvement qui, produit par une autre femme que Mme de Gesvres, l’aurait tout d’abord emporté. Il ne savait s’il devait la plaindre, la mépriser ou la haïr. Il y avait des motifs pour tout cela dans Mme de Gesvres. Seulement, quand le cœur était poussé à l’un de ces trois sentiments, voilà qu’au même instant les deux autres s’élevaient pour lui faire obstacle, et jetaient cette chose naturellement empêtrée, le cœur d’un pauvre homme, dans un incroyable embarras. Alternative extraordinaire et des plus cruelles !

Quand le mépris était près de tomber comme la foudre sur cette créature de rubans et de petites mines, indigne, après tout, d’un amour sérieux, la pitié pour cette âme impuissante, pour cet esprit qui sentait bien où est la vie, et