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cette justice qu’il montrait plus de persistance et de courage pour arriver au but qu’il voulait toucher, que jamais chevalier novice n’en mit à gagner ses éperons. Il fut héroïque, en vérité. Il s’enferma pendant des journées avec une femme qu’il n’aimait plus. Il eut à l’empêcher de pleurer quand l’envie lui en prenait, et cette envie venait souvent. Il avait à assoupir de fort légitimes défiances dans le narcotisme des phrases sentimentales.

Lui, dont elle avait fait un sultan, et pour qui toute la vie avec elle s’était passée à se coucher sur des coussins de canapé et à se laisser adorer en silence, il avait secoué une nonchalance si superbe et cachait l’immense ennui qu’elle lui causait sous un luxe d’amabilité qu’elle ne lui avait jamais connue, même au temps de leurs plus beaux jours.

Pauvre créature sans esprit, mais dont l’amour était du génie, elle jouissait de cette amabilité sans s’y laisser prendre.

Quand il lui avait bien répété sur tous les tons qu’il n’aimait qu’elle, elle lui disait avec un regard ineffable :

— Tu m’empoisonnes peut-être, mais tu m’enivres, et une telle ivresse est si douce qu’elle fait pardonner le poison.

Mais des mots si poignants n’étaient que du jargon moderne pour M. de Maulévrier, car rien ne donne un mépris plus philosophique